Communiqué de presse - Journée d'alerte du 20 mars 2015

L'UPM se mobilise pour préserver une Organisation judiciaire de qualité

 

 Communication de l’UPM à l’occasion de la « journée d’alerte »

 

 du 20 mars 2015

 

Depuis des années, l’ensemble du monde judiciaire est convaincu qu’une réforme fondamentale de la Justice est nécessaire pour améliorer son fonctionnement usé, dans la perspective d’une justice de l’avenir.  

L’Union professionnelle de la Magistrature soutenait ainsi une réforme qui aurait eu pour objectif  d’améliorer la gestion du pouvoir judiciaire en créant des entités certes moins nombreuses, mais comparables et homogènes pour que des moyens puissent leur être attribués de manière cohérente et efficiente.

L’Union professionnelle de la Magistrature soutenait également une réforme qui aurait permis au pouvoir judiciaire de disposer d’un budget lui donnant la possibilité de décider de manière autonome de l’affectation du personnel et des moyens alloués, puis de s’en justifier d’une manière responsable, devant le parlement.

Pour autant bien sûr, que le budget soit suffisant.

Pour autant,… car tout le monde le sait : que ce soit dans les rapports récents de la Cour des comptes ou de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, tous les indicateurs passent résolument au rouge.

Le monde politique le sait aussi. C’est d’ailleurs  la raison pour laquelle l’accord du 1er décembre 2011 que le précédent gouvernement avait pris, prévoyait que « pour garantir au citoyen une Justice rapide et performante, la Justice ne contribuerait pas à l’assainissement budgétaire et bénéficierait d’une enveloppe spécifique pour permettre la mise en œuvre des réformes envisagées ».

Pourtant, l’enveloppe a été oubliée. Les dettes se sont accumulées à tous niveaux, et des efforts supplémentaires ont encore été imposés à la Justice.

Si dans un premier temps, les publications des nominations ont seulement été retardées, les recrutements sont aujourd’hui gelés et les places vacantes ne sont plus publiées qu’au compte-gouttes. Burn-out, déprime et même révolte se font jour dans les rangs des magistrats et des membres du personnel de l’Ordre judiciaire, qui eux non plus ne sont pas épargné.

Les magistrats ont un objectif précis : Tenter d’améliorer d’une manière globale la qualité de la Justice, en jouant un rôle actif dans la résolution des conflits qu’ils ont à trancher. C’est un défi au quotidien qu’ils mènent grâce à l’appui de l’ensemble du personnel de l’ordre judiciaire.

Il nous faut une justice rapide et efficace qui satisfasse le justiciable ? Nous sommes tous d’accord. Ce n’est là ni une évolution, ni une révolution.

Tout est évidemment une question de mesure. Car la Justice n’est pas un service public comme un autre ni une entreprise soumise à la loi du marché. Si elle doit se réorganiser, il est impératif, comme le dit pertinemment le professeur Van Compernolle[1],  que les normes organisationnelles et directives  de gestion qui lui sont imposées, permettent au magistrat de rendre la justice non point in abstracto, mais in concreto, dans chaque affaire dont il est saisi. En outre, il parait difficilement concevable de ne pas consacrer le temps nécessaire au justiciable pour qu’il puisse être entendu.

Mais la demande de justice est de plus en plus importante et nécessite effectivement une amélioration et une rationalisation des procédures.

Le gouvernement actuel ne semble raisonner que dans une logique purement économique. La « Justice » n’est plus vue comme un service public, mais comme une « entreprise en difficulté ».

Alors pour y faire face, le gouvernement semble avoir opté pour une procédure « de réorganisation judiciaire »  qui doit permettre de ne préserver la continuité que d’une partie de l’entreprise « Justice » en difficulté.

Evolution ou révolution ?

C’est en tous cas à ce moment-là, que, dans un grand élan de management et d’économie, le législateur nous a confié une gestion qui n’a d’« autonome » que le nom.

Vers quel printemps nous mènent donc ces lois votées dans la hâte, sans étude préalable suffisante ni budgétisation ?

Sans réelle autonomie et sans argent, le pouvoir judiciaire, mais aussi les avocats, n’espèrent qu’une seule chose :  parvenir à garder le cap vers le maintien en Belgique d’une vraie Justice, digne de ce nom, garante des principes fondamentaux.

C’est la raison pour laquelle, magistrats, chefs de corps, collèges, associations tant francophones que néerlandophones, greffiers,… tous, ont répondu à la lettre du 5 janvier 2015 que leur a adressée le Ministre de la Justice, pour contribuer à l’élaboration de réformes. Ils ont transmis des propositions, des idées qui leur paraissent constructives dans l’intérêt de tous pour permettre une meilleure gestion de la demande de Justice, pour fixer des délais plus stricts, simplifier les procédures, standardiser la manière de rédiger les jugements ou les conclusions. Toutes initiatives qui permettent de rejoindre la notion de délais raisonnable, mais aussi de respect : de l’institution, du procès équitable, de l’indépendance de la Justice, de notre démocratie et surtout du justiciable.

Faut-il vraiment aller plus loin ?

Il s’agit là, d’un véritable choix de société.

Nous sommes à la croisée des chemins : 

Faut-il privatiser la Justice  civile et renoncer au service public?

Faut-il renoncer à une justice pénale performante et indépendante qui soit en mesure d’enquêter en toutes matières, même lorsque les coûts des enquêtes sont importants comme en matière financière ou de grande criminalité ?

Faut-il favoriser une justice pénale qui privilégierait les sanctions administratives, ou le traitement uniquement rapide des causes qui doivent être jugées?

L’UPM a décidé de participer à la présente manifestation car elle craint qu’ à défaut de réflexion sur ces points et sur les conséquences des économies linéaires imposées par le gouvernement, nous n’aboutissions, comme l’enseigne le professeur Loïc Cadiet à l’École de droit de la Sorbonne,  qu’à une « justice expéditive qui n’a de « Justice » que le nom, l’illustration même qu’à force de faire des économies sur la justice, c’est la justice-même dont on fait, en définitive, l’économie ».

 

Paule SOMERS

Présidente de l’UPM

 



Jacques Van Compernolle, Réflexions sur le management de la Justice : la recherche d’un équilibre entre efficience et les exigences du procès équitable, in Rev. Dr.ULB-41-2014, p 316 et svt.