L'UPM dénonce l'incohérence des réformes projetées par le gouvernement et la ministre de la justice

Les projets du gouvernement relatifs à la fusion des arrondissements judiciaires, à la mobilité des magistrats et du personnel et à la décentralisation de la gestion sont sévèrement critiqués par l'UPM.

  

 
 
 
 
Comme vous le savez, le Gouvernement a remis en chantier un grand projet de réforme du paysage judiciaire.
 
Deux textes ont été soumis au Conseil d’Etat : un avant-projet sur la modification des arrondissements judiciaires et un avant projet sur la modification du code judiciaire en vue de renforcer la mobilité.  
Un texte sur la gestion est encore en cours de discussion.
 
Vous pouvez trouver sur le site de l’UPM, dans un dossier spécial, les trois textes susvisés et les deux avis que le Conseil d’Etat vient d’émettre.
 
  1. Résumé du contenu de ces avant-projets :
 
  1. réforme des arrondissements judiciaires
L’avant-projet relatif à la réforme des arrondissements judiciaires organise un élargissement d’échelle au niveau provincial, à l’exception de Bruxelles, Louvain et Eupen.
Le Hainaut bénéficie d’un régime particulier (deux procureurs, un président, mais 2 sièges). Des divisions sont instaurées pour maintenir les lieux d’audience actuels, tandis que des audiences décentralisées peuvent être organisées au niveau des Cours d’appel.
 
Les auditorats, tribunaux de commerce et du travail sont organisés au niveau du ressort, sauf Bruxelles et Eupen
 
Au niveau des juges de paix et de police la direction et l’organisation sont confiée à un président  (conditions de nomination à préciser) et vice-président sauf pour Bruxelles et Eupen.
Une distinction est faite entre le règlement de répartition des affaires ( modifiable par AR : pour prévoir la création de divisions sur base du territoire ou spécialisation (+ extension de la compétence d’une division à l’ensemble du territoire de l’AJ concerné, pour des matières comme environnement,  matières éco et fin etc…) et le règlement particulier (confié au chef de corps  et concerne l’organisation interne, répartition des chambres, horaires etc…)
 
La direction générale et l’organisation du tribunal sont confiées au président par  mandat. Il répartit  les affaires conformément aux règlements de répartition des affaires et au règlement particulier. Il est assisté d’un ou plusieurs président (s) de division ou à défaut, vice-présidents  également titulaires de mandats adjoints
 
Pour le parquet : Procureur du Roi et auditeurs sont assistés de Procureurs ou Auditeur(s) de division selon les cadres.
Il en va de même  pour les greffes : sont  créés des greffiers de divisions et un greffier en chef unique pour les justices de Paix et les tribunaux de police.
 
  1.  Renforcement de la mobilité des membres de l’ordre judiciaire
L’ avant‑projet de loi modifiant le code judiciaire en vue de renforcer la mobilité des membres de l’ordre judiciaire vise à instaurer une plus grande mobilité pour les magistrats du siège et des parquets.
Les magistrats sont nommés à titre principal dans un  canton, tribunal ou parquet et à titre subsidiaire dans les autres entités de l’arrondissement ou du ressort de la cour d’appel concernée.
Des formes de mobilité sont organisées tantôt avec tantôt sans consentement, sur décision des chefs de corps au sein de l’arrondissement ou du ressort , entre cours ou tribunaux.
Les juges de paix et de police peuvent être désignés pour exercer leur fonction simultanément dans un ou plusieurs autres cantons, ou encore, sans consentement, être désignés pour exercer la fonction de juge au tribunal de police ou de juge de paix au sein de l’arrondissement.
 
Des règles particulières s’appliquent aux arrondissements judiciaires de Bruxelles, Louvain et Nivelles.
 
Enfin, l’avant-projet prévoit un régime de mobilité pour le personnel des greffes et des parquets, instaure la possibilité pour les conseillers de la cour d’appel et les membres des parquets généraux d’être désignés respectivement dans ou près les tribunaux d’application des peines, supprime les fonctions de magistrat de complément (sauf pour les juges de paix de complément, pour lesquels un cadre en extinction continue d’exister), et comporte un certain nombre de dispositions transitoires.
 
L’examen des exposés des motifs  de ces projets laisse entendre que les objectifs poursuivis en réduisant les 27 arrondissements à 12  en se rapprochant principalement de l’échelon provincial, sont les suivants:
 
-       l’élimination de l’arriéré judiciaire par le biais de la mobilité plus grande du personnel, de la spécialisation au sein de ces plus grandes entités et du renforcement de la sécurité juridique au sein de ces plus grandes entités.
-       Mise en œuvre de l’autonomie de gestion, notamment par le biais de contrats de gestion.
 
Dans un premier avis rendu en octobre 2009 déjà, le Conseil Consultatif de la Magistrature a relevé plusieurs points positifs à un élargissement des entités judiciaires : adaptation des moyens aux véritables besoins des juridictions, amélioration de la qualité de service aux citoyens, moyen d’équilibrer la charge de travail entre les différentes entités[1]
Le CCM insistait également sur le fait que la maîtrise des coûts ne pouvait notamment porter atteinte à la fixation des cadres de magistrats.
 
  1. Résumé des avis du Conseil d’Etat
 
Les avis rendus par le Conseil d’Etat sont très critiques : ils relèvent de très nombreux problèmes liés au respect des principes constitutionnels et à la Convention européenne des droits de l’homme.
Ils mentionnent également  le manque de cohérence existant entre les différents projets envisagés, et craignent une grande insécurité juridique si ces projets ne sont pas coordonnés, idéalement dans un seul même texte.
 
Ils estiment par ailleurs que les projets doivent être remaniés en profondeur pour prendre en compte les modifications apportées par la loi du 19 juillet 2012 portant réforme de l’AJ de Bruxelles. Ils relèvent un manque de précision, de définitions objectives, etc…
 
Le conseil d’Etat rappelle que le principe d’inamovibilité du juge inscrit dans la constitution est un aspect important de leur indépendance.
Au sein d’ une nouvelle délimitation du ressort, le Conseil d’Etat estime qu’un chef de corps peut répartir ses magistrats, s’il s’agit d’assurer « les besoins du service »,  le juge concerné préalablement entendu (pas de sanctions déguisées ou abus ou détournement de pouvoir) : l’exigence de transparence, d’objectivité et de prévisibilité  est destinée à préserver la confiance des citoyens dans l’indépendance et l’impartialité des juges
 
Le CE estime que la loi doit prévoir que la décision du chef de corps doit être motivée, et une protection juridictionnelle du magistrat concerné.
 
En ce qui concerne Eupen, le conseil d’Etat souligne que la mobilité demandée ne peut être faite que selon les prescrits de l’art 151 de la Constitution .
 
Enfin, il met en évidence que les cadres du personnel doivent être fixés en fonction de critères reposant sur des éléments objectifs à expliciter dans l’exposé des motifs pour garantir l’objectif d’une administration de la justice plus efficace et de haute qualité….
 
En conclusions, le Conseil d’Etat invite à un réexamen en profondeur des textes qui lui ont été soumis.
 
 
  1. Position de l’UPM
 
Les avant-projets  soumis au conseil d’Etat relatifs à la réorganisation judiciaire et à la mobilité ainsi que le texte relatif à la gestion soulèvent de graves inquiétudes.
 
L’UPM a toujours marqué son intérêt pour une réforme de l’institution judiciaire qui permettrait une meilleure gestion de son organisation, un statut en rapport avec la fonction et une qualité la meilleure possible du service rendus aux citoyens.
 
L’accord de gouvernement actuel a semblé encourageant  en ce qu’il précise notamment :
« Le citoyen a droit à une justice rapide et performante. Malgré le contexte budgétaire actuel, la Justice et la police ne contribueront pas à l’assainissement budgétaire et bénéficieront d’une enveloppe spécifique pour permettre la mise en œuvre des réformes envisagées. »
 Mais encore :
«  la lutte contre l’arriéré judiciaire constituera une priorité et la mesure de la charge de travail sera finalisée sous la responsabilité du gouvernement . Elle permettra d’évaluer le nombre de dossiers à traiter par juridiction et d’adapter le cadre des magistrats et du personnel en conséquence. »
 
L’UPM estime qu’une telle réforme, pour être performante et admissible, doit nécessairement répondre à une logique cohérente et à des critères essentiels bien identifiés.
Les trois nouveaux projets de réforme doivent être envisagés globalement, et comme le souligne le conseil d’Etat gagneraient en cohérence à être travaillés ensemble dans un seul et même texte.
 
 
L’UPM ne peut que constater que les textes actuels sont fort éloignés de ceux qui seraient souhaitables :
 
A.     En ce qui concerne le nouveau paysage judiciaire :
Le découpage des nouveaux arrondissements judiciaires a été fixé sur une base provinciale.
 Il aboutit ainsi à créer des entités peut-être parlantes sur un plan politique, mais tout à fait disparates sur un plan judiciaire : les caractéristiques géographiques de ces entités nouvelles, les bassins de vie ou activités économiques  qu’ils recouvrent, le nombre de magistrats qui y travaillent,  les activités de ces tribunaux et les charges de travail qu’ils assument ne sont absolument pas comparables et n’ont fait l’objet d’aucune évaluation. 
En outre, la non prise en compte des distances à parcourir et des temps de déplacements vont constituer des obstacles majeurs dans les grands arrondissements tels que ceux de Liège ou d’Anvers.
 Un tel découpage qui comporte en outre des exceptions importantes (Eupen, Hainaut)  va poser des problèmes importants au niveau de la gestion des entités et de la répartition des besoins.  Il va  donc devoir donner lieu à des arbitrages  spécifiques qui ne sont actuellement pas chiffrables. Le système judiciaire actuel risque dès lors d’être totalement déstructuré, sans pouvoir apporter d’amélioration, d’efficacité ou  de qualité au travail quotidien des magistrats.
Enfin, le principe territorial de base est différent pour les entités qui seront issues des tribunaux de première instance (niveau provincial) et celles venant des tribunaux du commerce et du travail (le ressort) ;
 
  1. En ce qui concerne la mobilité des magistrats :
Si la mobilité des magistrats pourrait permettre d’endiguer les vides temporairement existants dans l’une ou l’autre des chambres de l’arrondissement, il demeure qu’un déplacement implique immanquablement un vide dans l’entité où le prélèvement s’opère. Il peut également impliquer une surcharge de travail pour le magistrat concerné.
La mobilité des magistrats n’est donc pas de nature à lutter contre cet arriéré, si elle ne se fonde pas sur une étude préalable des besoins de l’institution. Sans aboutissement de l’évaluation de la charge du travail des magistrats,  il ne sera pas possible d’évaluer les moyens qui sont nécessaires à permettre à de nouvelles entités de fonctionner correctement.
La lutte contre l’arriéré judiciaire est une nécessité qui demande une multitude de moyens pour la combattre (amélioration des procédures, structuration des conclusions, recours à des chambres collégiales ou non, recours à des supports électroniques compatibles entre tous les acteurs, spécialisation, unicité de jurisprudence, lutte contre l’absentéisme  etc…. )
 
L’avant projet de loi relatif à la mobilité des magistrats supprime les magistrats de complément en les intégrant dans le cadre « ordinaire ».
Cette mesure n’est cependant pas accompagnée d’une augmentation correspondante du cadre ordinaire à concurrence du nombre de magistrats de complément, pourtant neutre budgétairement.
Cette disposition  a pour conséquence de créer un cadre en extinction et provoquera, par l’effet des départs naturels des magistrats de complément, une diminution notable du nombre de magistrats exerçant leurs fonctions.
Ceci est contraire aux objectifs invoqués par l’avant-projet, et nuira gravement au bon fonctionnement de l’institution judiciaire
 
 
Développer une exigence de plus grande mobilité des magistrats peut par contre effectivement se justifier par des questions de spécialisations dans certaines matières. Ces spécialisations sont des améliorations utiles notamment en vue de résorber l’arriéré judiciaire. 
Les chefs de corps qui  élaborent des plans de management pour gérer au mieux leurs corps, doivent pouvoir tenir compte de ces spécialités et ne peuvent être soumis à des déplacements qui leurs seraient imposés au profit d’autres entités, au détriment de la leur.
Dans le même ordre d’idée, les magistrats  concernés doivent pouvoir s’organiser lorsqu’un déplacement leur est demandé,  aussi bien en fonction des nécessités du service, que de leurs situations personnelles.  Aucune difficulté particulière ne semble exister aujourd’hui en ce sens et justifierait  de voir des magistrats assignés à parcourir les routes plutôt qu’à assumer leur tâche d’examen des dossiers judiciaires.
 
L’UPM estime dès lors  indispensable que tout déplacement d’un magistrat  se fasse avec son accord, respecte les prescrits constitutionnels, soit objectivement motivé, limité dans le temps et puisse faire l’objet d’un recours, non uniquement fondé sur une éventuelle sanction disciplinaire déguisée, mais permette d’envisager la situation personnel du magistrat sollicité. En outre, il parait indispensable que des  garanties quant au maintien d’une indemnisation correcte des frais de déplacement soient prévues.
 
  1. En ce qui concerne la gestion.
La volonté de donner des pouvoirs de gestion et donc une certaine autonomie financière à l’institution judiciaire implique que les entités judiciaires qui seront issues de la réforme soient d’une taille qui permet une autonomie de fonctionnement. Ceci n’est manifestement pas le cas et sera comme dit plus haut source de grandes difficultés.
 
Une autonomie de gestion ne doit en outre pas êtreune manière de se débarrasser sur l’institution judiciaire du problème de la pénurie des moyens budgétaires et ceci d’autant plus que, dans le contexte de crise actuel,  la crise rend encore plus crucial le service judiciaire aux citoyens qui en sont les premières victimes.
 
Le texte gestion prévoit à terme une réelle autonomie financière de l’institution judiciaire mais dans des conditions insupportables :
 
- le budget global de l’institution est dans le budget du Ministère de la Justice, à savoir qu’il négocié à l’origine par le Ministre lui-même dans le cadre du budget de son département et partagé par le Ministre avec des services qui dépendent de lui ;
- les organes de contrôles imposés à l’institution judiciaire sont mis à sa charge sans qu’ils soient assurés que les moyens financiers supplémentaires correspondants à ces nouvelles tâches lui soient alloués (service d’audit interne, commissaire du gouvernement, …).
 
- le texte actuellement sur la table est lacunaire quant aux moyens financiers et humains qui seront transférés à l’institution judiciaire en raison des pouvoirs d’autonomie qui lui seront confiés.
 
L’UPM regrette que soit à nouveau remis sur la table un projet de grande réforme sans que n’ait été préalablement expérimentés sur le terrain des projets-pilotes de moindre ampleur, tel celui qu’elle a suggéré, du regroupement de contentieux spécialisés dans certains lieux d’audience (système analogue à celui appliqué pour la matière fiscale).
 
 
  1. Réaction de l’UPM
 
L’UPM a souhaité jusqu’ici rester discrète dans ses prises de positions, tant les textes soumis à discussion, ont connu et reconnu des modifications tantôt légères, tantôt substantielles.
Aujourd’hui, à la suite des avis rendus par le Conseil d’Etat et compte tenu de l’agenda actuel  adopté par le gouvernement, nous avons rédigé à l’intention de Mme Turtelboom la lettre que vous trouverez en annexe.
Dans la mesure où elle  emporte votre adhésion nous vous remercions de bien vouloir la diffuser autour de vous et de nous le faire savoir.
 
Une conférence de presse sera ensuite organisée.
 
Si néanmoins, le Gouvernement persistait et déposait des textes que l’UPM ne pourrait admettre, d’autres actions seront envisagées pour manifester ouvertement notre opposition.
 


[1] Voir avis du Conseil Consultatif de la Magistrature relatif à la note d’orientation « le paysage judiciaire- vers une nouvelle architecture pour la Justice » adopté par l’assemblée générale du 26 octobre 2009