L'UPM écrit à la ministre de la justice

Lassée de l'absence de concertation légitime et sérieuse avec les acteurs de terrain, l'UPM fait part à la ministre de la justice des critiques que lui inspirent les textes des réformes en projet

Namur, le 21 mai 2013,
 
 
 
Madame la ministre,
 
Concerne : Avant-projet de loi modifiant les arrondissements judiciaires, avant-projet de loi modifiant le code judiciaire en vue de renforcer  la mobilité des membres de l’ordre judiciaire  et avant-projet de loi relatif à l'introduction d'une gestion autonome pour l'Organisation judiciaire.
 
 
L’ Union Professionnelle de la Magistrature (UPM) a pris connaissance des trois avant-projets de loi que vous avez préparés en vue de répondre à la déclaration gouvernementale visant à réformer le paysage judiciaire belge, à savoir la réduction du nombre des arrondissements judiciaires, le développement de la mobilité des magistrats et l’introduction d’une gestion autonome pour l’Organisation judiciaire.
 
Il s’agit de la plus importante réforme de structure proposée pour la Justice durant ces dernières années et il  convient donc d’y réserver la plus grande attention.
 
Nous avons aussi pris connaissance des avis rendus par le Conseil d’Etat sur les deux premiers projets, à savoir, la réforme des arrondissements et la mobilité des magistrats.
 
Nous vous adressons ce courrier, d’une part,  pour vous confirmer notre volonté de voir se réformer la Justice qui en a grand besoin, en particulier pour diminuer le nombre d’arrondissements judiciaires ainsi que pour améliorer la gestion des juridictions, et d’autre part pour vous exprimer notre vive inquiétude au sujet des textes préparés par le gouvernement.
 
Il nous paraît en effet que ceux-ci ne répondent nullement aux préoccupations  des magistrats, qu’ils risquent d’entraîner de graves dysfonctionnements dans l’organisation de la Justice,  des conséquences très négatives pour le citoyen outre  qu’ils violent les droits et garanties constitutionnels de la Justice en général et des  magistrats en particulier.
 
Nous souhaitons aussi relever, ainsi que l’a déjà fait  le Conseil d’Etat, que le manque de clarté entre les différentes lois et les lacunes des textes déposés risquent d’entrainer  une insécurité juridique incompatible avec une bonne gestion des institutions judiciaires.
 
 
Au-delà de ces observations d’ordre général, nos principaux points d’inquiétude sont les suivants :
 
1.         Le projet relatif aux arrondissements judiciaires basé sur une répartition provinciale :
 
-ne rencontre nullement les règles managériales élémentaires en ce qu’il définit des unités de gestion de tailles  très différentes  allant de 2 millions à 250.000 habitants.
Alors que le principe défini est la création d’un arrondissement judiciaire comprenant un tribunal et un parquet, on constate des anomalies injustifiables ou non justifiée pour l’arrondissement d’Eupen et la province de Hainaut;
 
- présente des risques importants de manipulation de la justice en confiant aux chefs de corps de très larges possibilités de distribution des affaires entre les entités de son arrondissement sans aucun critère objectif ;
 
-ne respecte ne rien le principe d’inamovibilité des magistrats visé à l’article 152 de la Constitution en permettant de les déplacer d’un siège à un autre sans leur consentement ;
 
- est source de confusion totale en modifiant des textes dans plusieurs projets simultanément, sans les coordonner.
 
 
2. Le projet relatif à la mobilité des magistrats présente lui aussi de graves lacunes :
 
- la mobilité prévue tant pour les magistrats que pour le personnel sans leur consentement, au-delà des risques d’atteinte à leur indépendance, constitue une atteinte à leur droit au travail dans des conditions stables et ne prévoit aucune indemnisation pour compenser les déplacements dans l’exercice de leurs fonctions ;
 
- va entrainer une importante démotivation dans le chef de tous les acteurs judiciaires et aggraver les difficultés de recrutement dans certaines fonctions ;
 
  - supprime les magistrats de complément en les intégrant dans le cadre «ordinaire» sans toutefois que cette mesure ne soit clairement et systématiquement accompagnée d’une augmentation correspondante du cadre ordinaire à concurrence du nombre de magistrats de complément.
 
 
3. Le projet relatif à la gestion des corps judiciaires est totalement indigent :
 
- il ne repose sur aucune analyse de la gestion actuelle ni des  conséquences d’un changement de système pour les corps judiciaires en terme de moyens, de transfert de personnel,  etc.  ;
 
- il ne précise en rien les domaines de gestion qui seront confiés aux corps judiciaires outre qu’il n’est pas admissible de laisser au Roi le soin d’en décider plutôt qu’au législateur ;
 
- le projet présente lui aussi de graves risques de porter atteinte à l’indépendance des magistrats en ce qu’il confie au collège du siège des pouvoirs contraignants à l’égard des magistrats en ce qui concerne « la qualité des décisions judiciaires » ;
 
- il ne prévoit aucun moyen budgétaire ou humain supplémentaire pour permettre à l’institution judiciaire de faire face aux nouvelles tâches qui lui sont conférées ;
 
 
En conséquence, l’UPM vous demande instamment :
 
            - de respecter les  principes constitutionnels fondamentaux qui régissent le pouvoir judiciaire dans le cadre de ces projets ;
 
            - de revoir fondamentalement ces trois projets au regard, notamment des observations du Conseil d’Etat  et du conseil consultatif de la magistrature afin de les clarifier, les motiver et d’en garantir l’applicabilité ;
 
            - de consulter les organisations de magistrats et le Conseil Consultatif de la Magistrature plutôt que des magistrats isolés qui n’ont aucune légitimité de représentation ;
 
            - de renoncer à tout déplacement de magistrats sans leur consentement au-delà  de leur lieu de nomination et de prévoir un système d’indemnisation décent pour ceux qui accepteront un déplacement et ce pour un terme limité dans le temps;
 
 
Veuillez agréer, Madame la Ministre de la Justice, l’assurance de notre considération distinguée.
 
 
 
 
Pour l’UPM,
 
 
 
Paule SOMERS
Présidente