Newsletter n°18

Les justices de paix sont largement impactées par les projets du ministre de la Justice.
Gare aux effets pervers d'une réforme précipitée et foulant au pied des principes qui devraient pourtant lui servir de balises...

On va où, commandant ?

 

Dans le domaine de la Justice, il faut craindre une volonté d’encore légiférer à la hussarde.


Répondant à une invitation du ministre, les présidents des juges de paix et de police l’ont rencontré, le 4 septembre dernier. Divers sujets concernant directement les magistrats cantonaux ont été évoqués et notamment : la réduction des effectifs de 10% avec pour conséquence la modification des cantons, le transfert de la matière du règlement collectif de dettes des juridictions sociales vers les justices de paix, l’augmentation de la compétence à 5.000€.


D’aucuns disent qu’en démocratie, c’est « le politique » qui décide.


Très bien.

Mais la démocratie, c’est aussi l’obligation constitutionnelle, pour chacun des trois pouvoirs, de respecter  les deux autres. Qui a parlé d’Etat voyou ?
La démocratie, c’est aussi un examen patient et réfléchi des projets et propositions de loi par les parlementaires : on ne vote pas des lois « pot-pourri » toutes les lunes, cette loi-ci défaisant ce que celle-là a fait un peu plus tôt.


Déjà sous le gouvernement précédent, la barre du bateau Justice était tenue par une administration dont un des objectifs prioritaires était la réalisation d’économies. Rien n’a changé. Au surplus, la volonté devient assez évidente, de réduire globalement le recours du citoyen à l’appareil  judiciaire (lourde augmentation du coût des procédures, limitation des voies de recours), ce qui doit avoir pour conséquence, entre autres, une diminution du nombre de magistrats et du personnel des greffes et Parquets. L’obligation d’une réduction des moyens de 10 % est martelée.

Comme si limiter l’accès à la Justice allait réduire le nombre de litiges.


Une limitation de l’accès aux soins médicaux fait-elle disparaître les maladies ?


À défaut d’être résolus, les conflits font naître aigreur, rancune, et chez certains désespoir propice parfois aux pires excès. Les conséquences, rétives à toute statistique, insoupçonnées, peuvent en être délétères.

 

Tout récemment, le C.S.J. déplorait publiquement le nombre d’inscriptions aux examens d’aptitude, et le risque de pénurie de magistrats à brève échéance. Effet pervers ou perversement espéré ?


Bien des magistrats, par conviction ou par intérêt, ont été charmés par les sirènes du nouveau paysage, subjugués par les parures du management. Ils sont aujourd’hui nombreux à s’interroger. La note de la Cellule stratégique du ministre, datée du 21 mars dernier, comprenant l’organisation de nominations fixes et de fonctions variables par ressort de Cour d’Appel, n’est pas étrangère à ce désenchantement. Le Ministre aurait récemment rejeté le plan de gestion présenté par le Collège des cours et tribunaux.

 

La galère est managée, mais ce n’est qu’une apparence.

 

Au fait, on va où, commandant ?

 

L’obligation est collective aujourd’hui, de tout faire pour éviter que la Justice continue à être « un bateau sans voilure que son capitaine, lassé qu’il serve de ponton, aurait lancé en haute mer, dans l’intime persuasion qu’en soumettant la vie du bord aux règles d’un minutieux protocole, il détournera l’équipage de la nostalgie d’un port d’attache et du soin d’une destination » (Claude Lévi-Strauss, cité par Jean-François Mattéi, « L’homme dévasté », Grasset, 2014).

 
Ne considérer que le processus, en omettant la finalité, fait tourner en rond.

 

Alors quoi ?


Alors, retour aux fondamentaux, par des conditions nécessaires, même si elles ne sont pas suffisantes.


La Constitution garantit au citoyen, en contraignant l’Etat à l’assurer, s’il veut rester un Etat de droit :

1.que le pouvoir législatif s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat (article 36 de la Constitution) ;
 
2. un pouvoir judiciaire exercé par les cours et tribunaux (article 40 de la Constitution), et non par une autre autorité, lorsque des contestations surgissent, qui ont pour objet des droits civils (article 144 de la Constitution) ; 

Ainsi:
- la matière des incapacités doit évidemment rester de la compétence du pouvoir judiciaire, puisqu’il est question de statuer sur la capacité juridique d’une personne ; la loi du 17 mars 2013 est généreuse dans ses principes, mais comporte des exigences parfois tatillonnes, qu’il faudrait revoir ; le RCD s’inscrit dans un tout autre contexte ; leurs chefs de corps ont dit au ministre toutes leurs réticences au transfert de cette matière chez les Juges de paix ;

3. que nul ne peut être distrait du juge que la loi lui assigne (article 13 de la Constitution) et que les jugements doivent être motivés (article 149 de la Constitution), ce qui implique :

- un accès aisé à la Justice ; le recours à la médiation est souhaité par le ministre (journal Le Soir du 9 septembre 2017); a-t-on examiné le nombre de procédures de conciliation abouties chez les Juges de paix ? le ministre suggère également l’assurance « protection juridique » ; tout comme pour les soins médicaux, un service de base doit être garanti au justiciable; quant à une modification de leur compétence ratione summae, qui serait portée à 5.000 €, moyennant une étude de l’impact de la mesure sur la charge de travail, les Juges de paix n’y sont pas hostiles ;


- le maintien d’une Justice de proximité ; le ministre vient heureusement d’en confirmer le principe (journal Le Soir du 9 septembre 2017); les fusions de cantons doivent cesser ;

- un examen attentif des demandes en Justice, même lorsque le défendeur, volontairement ou par désoeuvrement, fait défaut ; l’ordre public, défini invariablement depuis de nombreuses années par la Cour de Cassation (Cass., 9 décembre 1948, Pas., I, p.699 ; Cass., 13 décembre 2016, J.L.M.B. 2017/6, p.257), s’impose fréquemment.

 

Obligeant le juge, le droit positif doit aussi s’inscrire, avec harmonie, dans un cadre plus large qui le dépasse en l’englobant, celui des valeurs que les Constitutions des États modernes ont pour souci et mérite de rappeler, en consacrant les droits qui en dérivent.


Si le droit évolue nécessairement, pour s’adapter à des sociétés qui changent, il doit cependant induire des sentiments de stabilité, autant dans le monde judiciaire que chez tout citoyen qui s’y trouve nécessairement soumis.

Il faut espérer une prise de conscience, y compris chez les magistrats, de l’intérêt majeur que présente la référence à ces principes.

On peut tout faire avec une baïonnette, sauf s’asseoir dessus !

 

André Monhonval

Juge de paix du canton de Saint-Hubert-Bouillon-Paliseul